Certaines personnes se passionnent et se spécialisent sur l'étude de thématiques très précises, mais parviennent à nous apporter énormément en analysant les choses en profondeur, en essayant de les comprendre.

Avec en filigrane la volonté de mieux nous comprendre nous, êtres humains, savoir ce qui nous fait peur, ce qui nous inspire, ce qui nous motive.

Kathryn Schulz est une journaliste et auteur qui s'est spécialisé sur l'étude des erreurs.

Autant te le dire tout de suite : tu devrais vraiment prendre 20 mn pour visionner cette conférence TED (les sous-titres sont disponibles en français).

Mais comme d'habitude, tu retrouveras l'essentiel du texte avec mes commentaires en dessous.

Une étrange impression d'avoir toujours raison

"J'ai passé les cinq dernières années à réfléchir aux erreurs que nous faisons. (...) En fait, la plupart d'entre nous faisons tout notre possible pour éviter de réfléchir au fait de se tromper, ou du moins pour éviter de réfléchir à la possibilité que nous puissions avoir tort. Nous restons dans l'abstrait. Nous savons tous que tout le monde fait des erreurs. Que l'espèce humaine, en général, est faillible. Mais quand il s'agit de moi, là, tout de suite, de tout ce en quoi je crois, ici dans le temps présent, tout d'un coup toute cette appréciation abstraite de la faillibilité s'envole - et je ne peux pas vraiment penser à quelque chose sur quoi je me trompe. Le fait est, nous vivons dans le temps présent. Nous allons à des réunions dans le temps présent; nous allons en vacances en famille dans le temps présent; nous nous rendons aux urnes et nous votons dans le présent. Donc, effectivement, nous en venons tous à traverser toute la vie, pris au piège dans cette petite bulle où on a l'impression d'avoir toujours raison pour tout."

Évidemment, puisque nous devons tous prendre quotidiennement des décisions, nous faisons nos choix parce que nous pensons que nous prenons la bonne décision. Et pourtant, Kathryn Schulz pense que c'est un problème.

"Je pense que c'est un problème. Je pense que c'est un problème pour chacun de nous en tant qu'individus, dans notre vie personnelle et professionnelle, et je pense que c'est un problème pour nous tous, collectivement en tant que culture. (...) Je tiens à vous convaincre qu'il est possible de sortir de cette impression, et que, si vous pouvez le faire, c'est le plus grand bond moral, intellectuel et créatif que vous puissiez faire."

Alors pourquoi nous retrouvons-nous coincés dans cette impression d'avoir raison ?

"Quelle impression cela fait d'avoir tort, du point de vue émotionnel ? Horrible, mortel, embarrassant - merci, ce sont d'excellentes réponses. Mais ce sont des réponses à une question différente. Vous répondez en fait à la question: qu'est-ce que cela fait de se rendre compte que vous avez tort? (Rires) Vous rendre compte que vous avez tort, (...) cela peut être dévastateur, cela peut être révélateur, cela peut être assez drôle. Mais se tromper ne ressemble à rien."

Elle donne ensuite un exemple qui devrait te rappeler quelques souvenirs d'enfance :

"Je vais vous donner une analogie. Vous souvenez-vous de ce dessin animé Looney Tunes où il y a ce coyote pathétique qui poursuit toujours et n'attrape jamais Bip Bip? Dans presque tous les épisodes de ce dessin animé, il y a un moment où le coyote poursuit Bip Bip, et Bip Bip court au-delà d'une falaise. C'est sans problème pour lui, c'est un oiseau, il peut voler. Mais le fait est que le coyote court au-delà de la falaise après lui (...) Il continue de courir -- jusqu'au moment où il regarde vers le bas et se rend compte qu'il est dans les airs. C'est alors qu'il tombe. Lorsque nous avons tort à propos de quelque chose - pas quand nous nous en rendons compte, mais avant cela - nous sommes comme ce coyote après qu'il soit au-delà de la falaise, et avant qu'il baisse les yeux. Vous savez, nous avons déjà tort, nous sommes déjà en difficulté, mais nous avons l'impression d'être sur la terre ferme. Donc je devrais en fait corriger une chose que j'ai dite il y a un instant. Quand on se trompe, on ressent bien quelque chose ; on a l'impression qu'on a raison."

C'est bon, tu suis toujours ? indecision

"C'est  donc une des raisons, une raison structurelle, pour laquelle nous sommes coincés dans ce sentiment de justesse. C'est ce que j'appelle la cécité d'erreur. La plupart du temps, nous n'avons aucune sorte de repère interne pour nous faire savoir que nous avons tort à propos de quelque chose, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Mais il y a aussi une deuxième raison pour laquelle nous sommes coincés dans cette impression - et elle est d'ordre culturel.

Elle montre alors l'exemple d'une copie d'élève pour le moins "créative", avec les commentaires sévères de son professeur :

"Quand vous avez 9 ans, vous avez déjà appris, tout d'abord, que les gens qui se trompent souvent sont paresseux, des idiots irresponsables - et en second lieu, que le moyen de réussir dans la vie est de ne jamais faire d'erreurs. Nous apprenons ces très mauvaises leçons vraiment bien. Et beaucoup d'entre nous les assument en devenant de parfaites petites têtes de classe, des perfectionnistes, qui veulent toujours faire plus. Sauf que nous sommes effrayés face à la possibilité que nous nous soyons trompés. Parce que, d'après ceci, se tromper sur quelque chose signifie qu'il y a quelque chose qui ne va pas en nous. Alors nous insistons que nous avons raison, parce que cela nous fait nous sentir intelligents, responsables, vertueux, et en sécurité."

Xavier Niel aurait-il raison avec l'absence de notation individuelle dans sa future école ?

Comment expliquons nous le fait que les autres ne sont pas toujours du même avis que nous ?

"Ce sens interne de justesse que nous avons tous si souvent n'est pas un guide fiable pour ce qui se passe réellement dans le monde extérieur (...) Réfléchissez un instant à ce que cela signifie de sentir qu'on a raison. Cela signifie que vous pensez que ce en quoi vous croyez reflète parfaitement la réalité. Et quand vous ressentez ça, vous avez un problème à résoudre, qui est : comment allez-vous expliquer tous ces gens qui sont en désaccord avec vous? Il s'avère que la plupart d'entre nous expliquent cela de la même manière, en recourant à une série d'hypothèses malheureuses :

- En général, la première chose que nous faisons quand quelqu'un n'est pas d'accord avec nous est que nous supposons qu'ils sont ignorants. Ils n'ont pas accès aux mêmes informations que nous, et quand nous partageons généreusement ces informations avec eux, ils vont voir la lumière et se joindre à notre équipe.

- Lorsque cela ne fonctionne pas, quand il s'avère que ces gens ont tous les mêmes faits que nous et qu'ils sont toujours en désaccord avec nous, alors nous passons à une seconde hypothèse, qui est qu'ils sont idiots. (Rires) Ils ont tous les bons morceaux du puzzle, et ils sont trop idiots pour les assembler correctement.

- Et quand cela ne fonctionne pas, quand il s'avère que les gens qui sont en désaccord avec nous ont tous les mêmes faits que nous, et sont en fait assez intelligents, alors nous passons à une troisième hypothèse: ils connaissent la vérité, et ils la déforment délibérément pour servir leurs propres fins malveillantes."

Allez, je suis sûr que tu ris un peu jaune derrière ton écran à présent. cheeky

Le miracle de notre esprit est de pouvoir voir le monde tel qu'il n'est pas

"Cet attachement à notre propre bien-fondé nous empêche de prévenir les erreurs lorsque nous en avons absolument besoin et nous amène à traiter les autres terriblement. Mais pour moi, ce qui est le plus déconcertant et le plus tragique dans tout ça c'est que ça passe à côté de ce que c'est que d'être humain. C'est comme si nous voulons imaginer que nos esprits ne sont que ces fenêtres parfaitement translucides et nous regardons au travers et décrivons le monde tel qu'il se déroule. Nous voulons que tout le monde regarde par la même fenêtre et voit exactement la même chose. Ce n'est pas vrai, et si ça l'était, la vie serait ennuyeuse. Le miracle de votre esprit n'est pas que vous pouvez voir le monde tel qu'il est. C'est que vous pouvez voir le monde tel qu'il n'est pas. Nous pouvons nous souvenir du passé, et nous pouvons penser à l'avenir, et nous pouvons imaginer ce que c'est que d'être quelqu'un d'autre dans un autre lieu. Et nous faisons tous cela un peu différemment (...) Et oui, c'est aussi pour cela que nous nous trompons."

Elle cite ensuite la fameuse "Fallor ergo sum" - "Je me trompe donc je suis."  de Saint Augustin :

"Augustin a compris que notre capacité à nous planter, ce n'est pas une sorte de défaut gênant dans le système de l'homme, une chose que nous pouvons éliminer ou surmonter. C'est tout à fait fondamental pour ce que nous sommes. Parce que nous ne savons pas vraiment ce qui se passe là-bas. Et contrairement à tous les autres animaux, nous sommes obsédés par essayer de le comprendre. Pour moi, cette obsession est la source et la racine de l'ensemble de notre productivité et de créativité. (...)>

Au fond, nous aimons les choses avec des rebondissements, des fausses pistes, et des fins inattendues. Quand il s'agit de nos histoires, nous aimons avoir tort. Mais, vous le savez, nos histoires sont comme ça parce que nos vies sont comme ça. Nous pensons que cette chose va se passer et c'est quelque chose d'autre qui se produit. (...) Peut-être pensiez-vous que vous alliez grandir et épouser votre amour de lycée et revenir dans votre ville natale et élever des d'enfants ensemble. Et c'est autre chose qui s'est passé. C'est la vie. Pour le meilleur et pour le pire, nous générons ces histoires incroyables sur le monde qui nous entoure, et puis le monde tourne et nous étonne.

C'est comme ça que ça se passe. Nous trouvons une autre idée. Nous racontons une autre histoire. Nous donnons une autre conférence. Le thème de celle-ci, que vous avez maintenant entendu sept millions de fois, est la redécouverte de l'émerveillement. Pour moi, si vous voulez vraiment redécouvrir le monde, vous devez sortir de ce minuscule espace terrifié de justesse, vous tourner les uns vers les autres, ouvrir les yeux sur l'immensité et la complexité et le mystère de l'univers et être en mesure de dire :

"Wow, je ne sais pas. Je me trompe peut-être."

Si tu as aimé cette vidéo ou si tu es intéressé par cette thématique de l'erreur, Kathryn Schulz est l'auteur d'un livre traduit en français sur le sujet.

 

 

 

 

 


Tu aimes ce site ?


Tu devrais lire aussi

Commentaires

Portrait de Marniz

J'aimerais savoir ce que l'auteur propose sur le plan pratique, quelles applications dans la vie courante nous permettraient de favoriser le retour à l'émerveillement? Pour moi, la fiction est ce qu'il y a de plus puissant. Mais nous ne sommes pas tous lecteurs. De plus, il me semble que nous sommes toujours victimes, depuis les Lumières peut-être, d'une certaine crainte de l'ambiguïté qui nous pousse à exiger la certitude en tout domaine. Que ce soit moi ou un autre peu importe, il faut savoir qui a raison.Nous faut-il le terrain ferme de la raison pour sauvegarder notre propre raison? Comment concretiser ce retour à l'émerveillement? Il semble y avoir tant d'obstacles......

Portrait de Zinram

Marniz tu m'fais délirer. ^^ "Quelles applications pratiques favorisent le retour à l'émerveillement ?"Accepte simplement d'avoir tort quand t'as tort c'est tout. Et mets à la même hauteur la vie de tous les hommes. Celles des stars à celle des "lambdas", des experts à celle des amateurs, des riches à celle des pauvres, des fous à celle des sains d'esprit, etc... Ainsi, tu arrêteras de préjuger les propos des gens tout ça parce que c'est "un tel" qui l'a dit. Il n'y a que la pure objectivité que peut émettre des raissonnnement parfaitement rationnels