Je suis allé voir Citizenfour ce week-end, le documentaire réalisé par Laura Poitras nous plongeant au coeur même des révélations d'Edward Snowden.

C'est le troisième volet d'une trilogie faisant le point sur les Etats-Unis post-11 septembre. Il a notamment reçu récemment l'Oscar du meilleur documentaire.

Je t'invite bien entendu à aller le voir si tu en as l'occasion. J'ai vu qu'il était disponible sur Internet mais je ne suis pas certain de la légalité : les ayant-droit n'ont apparemment pas l'intention de le distribuer gratuitement, mais une procédure judiciaire aurait a priori permis de le faire entrer dans le domaine public, d'après ce que j'ai compris. Mieux vaut vérifier dans le doute.

Une diffusion très limitée

Citizenfour

Si je te conseille d'aller le voir au cinéma, encore faut-il que tu puisses le faire !

La diffusion me semble vraiment ridicule dans les salles obscures pour ce sujet important, qui nous concerne tous.

Pour l'exemple qui me concerne personnellement à Dijon, ville moyenne de plus de 150 000 habitants (~ 370 000 avec l'agglomération) : seulement 2 séances par jour dans un petit cinéma de la ville, alors qu'elle en compte 5, dont deux gros complexes.

Tu me diras que c'est peut-être l'occasion pour les habitués des grandes salles d'aller découvrir de petits cinémas, mais je pense aussi à tous les habitants n'ayant pas de grande ville à proximité qui n'auront aucune chance de le voir près de chez eux.

Et c'est une minuscule salle d'une quarantaine de place qui nous a accueilli pour l'occasion. Elle fut heureusement pleine à l'heure où je m'y suis rendu, avec un public qui m'a semblé assez divers et de tout âge.

J'imagine bien que ce genre de projection intéresse malheureusement moins le public que les aventures érotiques de 50 nuances de Grey, mais cela m'a laissé d'emblée un sentiment assez amère sur l'intérêt porté à ses affaires pourtant essentielles dans l'histoire de nos démocraties.

Une plongée passionnante au coeur des révélations d'Edward Snowden

Edward Snowden

Si tu as globalement suivi les différentes affaires liées aux révélations de l'ex-expert en sécurité pour la NSA, tu n'apprendras pas grand chose de plus dans ce film, qui ne diffuse pas à ma connaissance de nouvelles informations.

Mais c'est une occasion unique de se trouver face à "Ed" Snowden, de mieux comprendre ses motivations, les choix qu'il a fait avec les journalistes sur la meilleure façon de dévoiler les informations, sans le mettre trop en avant pour éluder les vrais sujets, ni le cacher pour ne pas mettre en doute sa crédibilité.

On distingue un jeune homme de 29 ans (à l'époque, il en a 32 aujourd'hui) qui semble discret, brillant, et surtout terriblement lucide sur l'impact de ses agissements et les conséquences probables.

C'est également l'occasion de mettre en lumière le travail extraordinaire des journalistes, Glenn Greenwald, Ewen MacAskill, et la réalisatrice Laura Poitras, de mieux comprendre les risques qu'ils prennent dans ce genre d'affaire, les précautions qu'ils doivent prendre pour se protéger ainsi que leurs sources.

Snowden leur laisse d'ailleurs l'entière responsabilité des éléments à diffuser, et de la meilleure manière de dévoiler son identité. On perçoit le rôle essentiel des journalistes pour protéger nos démocraties, un rôle qui me semble souvent oublié aujourd'hui tant l'information semble diluée dans un amas de médiocrité.

Les échanges entre les protagonistes, nous plongeant au coeur de la vie de cet homme prêt à sacrifier le cours de sa vie pour le respect des libertés individuelles, sont saisissants, et on ne peut réprimer un pincement au coeur en se disant que ce n'est pas de la fiction.

On pourrait se prendre à sourire face à certaines précautions prises par Snowden dans sa chambre d'hôtel, déconnectant son téléphone par IP et se cachant sous un vêtement pour taper son mot de passe... dans un autre contexte. En gardant en tête l'ampleur des informations révélées, les forces en présence, et les risques encourus par les protagonistes, cela nous amène plutôt à réfléchir à notre propre utilisation d'Internet et des outils informatiques.

Un soutien inconditionnel à un Internet libre

Internet libre

photo flickr / ntr23

La vision de Snowden de ce qu'était Internet à ses débuts, et ce qu'il est devenu, semble être un des éléments majeurs l'ayant poussé à agir.

"Je me suis souvenu de ce qu'était Internet avant les écoutes. Il n'y pas d'équivalent dans l'histoire de l'humanité. N'importe où dans le monde, des enfants pouvaient discuter d'égal à égal, en étant assurés qu'on respecte leurs idées, avec des experts à l'autre bout du monde, de n'importe quel sujet, n'importe où et à tout moment. De manière totalement libre."

Les témoignages d'autres acteurs tel que le fondateur de Lavabit nous montrent que si Snowden n'est pas seul à défendre avec vigueur cette idée, leur marge de manoeuvre est extrêmement faible face aux pressions exercées par les gouvernements. Lavabit, service de messagerie chiffré, a préféré fermer ces portes plutôt que se soumettre aux exigences de recherche du gouvernement des États-Unis.

C'est au final ce sentiment de bataille inégale qui résume ce documentaire, et c'est l'impression amère qui nous reste dans la gorge à la fin de la séance.

Car admettons-le : nous aurions pu croire au déclenchement d'une crise diplomatique mondiale face à l'ampleur de ses révélations, non ? Peu de choses semblent avoir réellement changé finalement, et les réactions des États semblent bien faibles en comparaison de l'électrochoc que les citoyens étaient en droit d'attendre.

Mais on se surprend aussi à vouloir s'accrocher à l'espoir qui semble faire tenir Snowden dans sa quête : son action finira peut-être par engendrer une vraie réflexion sur le statut des lanceurs d'alertes, et cela encouragera peut-être d'autres à faire de même.

On comprend d'ailleurs à la fin du film qu'il a peut-être raison. Que ses révélations, aussi importantes soient-elles, ne sont peut-être qu'une brise avant la vraie tempête.

En attendant, Edward Snowden est aujourd'hui inculpé par son propre pays pour espionnage, vol et utilisation illégale de biens gouvernementaux. Ses demandes d'asile ont été refusé dans la quasi-totalité des pays, y compris dans l'Union Européenne, y compris en France (malgré le soutien de plusieurs représentants politiques). Il est toujours exilé en Russie.

Espérons que cela nous donne en tout cas à tous l'envie de continuer à s'intéresser à ces questions fondamentales, à prendre conscience de l'intérêt d'un Internet libre et de protéger nos données personnelles.

 


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Commentaires

Portrait de wilfried18

J'ai bien aimé ce documentaire , même s'il est pas disponible partout (je suis pas pour la théorie du complot en général) mais la il y a quelque salle en province qui projette ou l'on fait ce film , cela ne doit pas être une coïncidence , mais pour éviter que michu regarde ou s’intéresse au film ou a cette affaire.
Je trouve ed très zen (au début) ,
Je regrette juste que la France n'ai pas accepter sa demande (on se demande pourquoi) et que la Russie (qui n'est pas amie avec la liberté en général) ait accepter pour x années.

J'ai entendu dire qu'il voudrait revenir au USA (il est malade) mais en ayant la certitude d'avoir un vrai procès (je doute que cela arrive)

Portrait de Nairolf

Il ne faut pas y voir une théorie du complot pour la faible diffusion du documentaire.

Il s'agit tout simplement d'un documentaire, avec donc une diffusion assez faible, comme tout un tas de documentaire qui sortent toute les semaines.

Si vous avez tout les deux pu le voir, vous avez certainement du aller le voir dans un petit cinéma d'art et d'essai. C'est un peu comme les logiciels libres qui ont un rôle important, mais qui ont une visibilité assez réduite, les cinéma d'art et d'essai, sont pour moi, les seuls qui défendent une certaine idée du cinéma, contrairement aux grosses chaînes de cinéma. Ces derniers participent à l'uniformisation des films, et ne cherchent pas à défendre la diversité du cinéma, telle qu'elle existe aujourd'hui, dans tout les pays du monde.

Bref, c'est comme tout, il faut "consommer" du logiciel libre, il faut "consommer" les petits cinémas indépendant ;)

Portrait de coreight

Cette remarque est pertinente, et j'ai en effet été heureux de me rendre dans un petit cinéma où je ne vais jamais habituellement. Ce qui me chagrine c'est le manque de visibilité de ce sujet qui a pourtant de quoi déplacer les foules.