Un gouvernement peut-il fonctionner comme Internet, sans permission et ouvert ?

J'ai profité d'un petit passage en Suisse ce week-end pour visiter le Palais des Nations à Genève.

En dehors de l'intérêt architectural des bâtiments, c'est bien entendu le caractère historique qui marque lors la visite de ce site gigantesque. Et pas seulement l'Histoire déjà gravée dans le marbre, celle que l'on imagine en parcourant les vestiges d'une cité ancienne. Mais celle qui se déroule actuellement sous nos yeux, et les décisions primordiales qui seront prises pour l'avenir entier de la planète.

Un moment idéal pour en apprendre davantage sur le fonctionnement de l'ONU, mais aussi pour réfléchir aux systèmes de gouvernances qui régissent le monde moderne.

Tout cela m'a rappelé cette vidéo fort intéressante d'une conférence TED que j'avais visionné il y a quelques temps, par Jennifer Pahlka, fondatrice du programme Code for America (ne t'inquiète pas, je t'explique ce que c'est plus loin).

La vidéo dure 12 mn, je t'invite donc comme d'habitude à la regarder en entier à l'occasion, mais j'ai repris l'essentiel du texte avec mes commentaires en dessous.

Le principe du programme Code for America : envoyer des "vedettes" de la technologie et du design dans des mairies, afin qu'ils travaillent avec les services municipaux pour développer des applications utiles. Et montrer ce qui est possible avec la technologie aujourd'hui.

Premier exemple : Un problème avec les bornes à incendies de Boston, jamais déneigées en hiver par la ville. Un développeur, ayant remarqué que les habitants déneigeaient en revanche les trottoirs devant chez eux, a alors développé une application permettant "d'adopter" une de ces bornes et de lui donner un nom , en échange d'accepter de la déneiger. Sinon quelqu'un d'autre pourrait lui "voler". Une dynamique de jeu sympa pour impliquer et motiver.

" C'est une petite appli modeste (...). Mais elle fait quelque chose qu'aucune autre technologie de gouvernance ne fait. Elle se répand de façon virale."

Le concept a en effet été repris par de nombreuses autres villes, que ce soit pour surveiller les sirènes d'alerte au tsunami, déboucher les collecteurs d'eau, déneiger les trottoirs... De petites applications simples, peu coûteuses et rapides à produire, bien loin des projets souvent pharaoniques lancés par les municipalités :

"Si vous vous y connaissez en technologie de gouvernance, vous savez que ce n'est pas comme ça que ça se passe normalement. Fournir un logiciel prend en général deux ou trois ans. (...) Il y a un projet en cours au système juridique de Californie en ce moment qui jusqu'à présent a coûté aux contribuables deux milliards de dollars, et il ne marche pas. Et il y a des projets comme celui-là à tous les niveaux du gouvernement.

Imaginer un fonctionnement sans permission, ouvert, générateur

"Et donc une appli qui prend deux ou trois jours à écrire puis se répand de façon virale, c'est un coup de semonce en direction de l'institution du gouvernement. Elle suggère comment un gouvernement pourrait travailler mieux, pas comme une compagnie privée, pas même comme une compagnie technologique, mais plus comme Internet même. Ce qui veut dire sans permission, ce qui veut dire ouvert, ce qui veut dire générateur. Mais ce qui est plus important avec cette appli c'est qu'elle représente la manière dont une nouvelle génération aborde le problème de la gouvernance, non pas comme le problème d'une institution sclérosée, mais comme un problème d'action collective. Et c'est une très bonne nouvelle, parce qu'il s'avère que nous sommes très bons avec la technologie numérique quand il s'agit d'action collective.

Il y a maintenant une grande communauté de gens qui construisent les outils dont nous avons besoin pour faire des choses ensemble efficacement. (...) Ils n'ont pas renoncé au gouvernement. Ils sont très frustrés à son égard, mais ils ne s'en plaignent pas, ils y remédient. Ces gens savent une chose que nous avons perdue de vue : c'est que quand on oublie tout ce qu'on pense de la politique et la queue au service des cartes grises et tout ce genre de choses qui nous mettent vraiment en colère, le gouvernement est, par essence, selon les mots de Tom O'Reilly, « Ce que nous faisons ensemble et que nous ne pouvons faire seuls. La politique ne change pas ; mais le gouvernement change. Et parce que le gouvernement au final tire son pouvoir de nous, la façon dont nous y pensons va affecter la manière dont ce changement se produit."

Jennifer Pahlka raconte ensuite l'anecdote amusante d'un citoyen ayant alerté les autorités via une application publique (où les problèmes relatés sont visibles par la communauté) à cause d'un opossum retrouvé au fond de sa poubelle. Un voisin est alors naturellement  passé de lui-même régler le problème (qui consistait simplement à coucher la poubelle pour laisser sortir la bestioleindecision)

"C'est tout simple. C'est génial. C'est la rencontre du numérique et du physique. Et c'est toujours un bon exemple de gouvernance qui s'appuie sur le jeu du crowdsourcing. Mais c'est aussi un bon exemple de gouvernance en tant que plateforme. Pas nécessairement une définition technologique de plateforme, mais simplement d'une plateforme pour que les gens s'aident eux-mêmes et aident les autres. Un citoyen a aidé un autre citoyen, mais la gouvernance a joué un rôle clé ici. Elle a connecté ces deux personnes. Et elle aurait pu les connecter par des services de gouvernance si cela avait été nécessaire mais un voisin est une alternative bien meilleure et bien moins coûteuse aux services de gouvernance. Quand un voisin en aide un autre, nous renforçons nos communautés."

Un regard critique sur nos systèmes actuels de gouvernance

"Combien de fois avons nous élu un homme politique, (...) et ensuite nous nous rasseyons et nous attendons que la gouvernance reflète nos valeurs et réponde à nos besoins, et puis pas grand chose ne change ? C'est parce que le gouvernement est comme un vaste océan et la politique est la couche de 15 cm sur le dessus. Et ce qu'il y a en dessous est ce qu'on appelle la bureaucratie. Et on dit ce mot avec un tel mépris. Mais c'est ce mépris qui maintient cette chose que nous possédons et que nous payons comme une chose qui travaille contre nous, cette autre chose, et puis nous nous privons de notre pouvoir."

Cela te parle cette vision de la bureaucratie ? Alors on continue :

Et pour ceux d'entre nous qui ont renoncé à la gouvernance, il est temps de nous demander quel monde nous voulons laisser à nos enfants. Nous devons voir les problèmes énormes auxquels ils vont être confrontés. Pensons-nous vraiment que nous allons aller là où nous le devons sans réparer la seule institution qui peut agir en notre nom à tous ? Nous ne pouvons pas nous passer de gouvernance, mais il faut qu'elle soit plus efficace. La bonne nouvelle est que cette technologie rend possible de recadrer radicalement la fonction de gouvernement d'une manière que nous pouvons en fait graduer en renforçant la société civile."

Les nouvelles générations armées pour répondre à ce nouveau défi ?

"Il y a une génération qui a grandi avec internet, et elle sait que ce n'est pas difficile de faire les choses ensemble : il suffit de structurer les systèmes comme il faut. C'est une génération qui a grandi en tenant leurs voix pour acquises. Ils ne se battent pas comme nous pour savoir qui a la parole ; ils prennent tous la parole. Ils peuvent exprimer leur opinion sur n'importe quel canal à n'importe quel moment, et ils le font. Donc quand ils sont confrontés au problème de gouvernance, ils ne se soucient pas autant d'utiliser leur voix. Ils utilisent leurs mains. Ils utilisent leurs mains pour écrire des applications qui font que la gouvernance fonctionne mieux.

Et ces applications nous permettent d'utiliser nos mains pour améliorer nos communautés. Qu'il s'agisse de déneiger une borne à incendie, d'arracher une mauvaise herbe, de coucher une poubelle qui contient un opossum. Et certainement, nous aurions tous pu déneiger cette borne à incendie, et beaucoup de gens le font. Mais ces applis sont comme des petits pense-bêtes numériques que nous ne sommes pas que des consommateurs et que nous ne sommes pas que des consommateurs de gouvernance, apportant nos impôts et recevant des services. Nous sommes plus que ça, nous sommes des citoyens. Et nous n'allons pas réparer la gouvernance tant que nous n'aurons pas réparé la citoyenneté.

Ma question est donc : quand il s'agit des choses vraiment importantes, que nous devons faire ensemble, nous tous, serons-nous simplement une foule de voix ou serons-nous aussi une foule de mains?"

Un intervention que je pourrais ajouter en entier aux raisons pour lesquelles j'aime la technologie. En plus de protéger la démocratie en obligeant les gouvernements à la transparence, elle peut permettre de repenser entièrement son fonctionnement, et l'implication de chacun en tant que citoyen.

Prêt pour la révolution numérique ?

 

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