La surprenante science de la motivation
Je te présente aujourd'hui une conférence TED qui touche le coeur même de la thématique de cette rubrique du lundi matin : la motivation.
Daniel Pink est conseiller en carrière, et l'auteur de plusieurs bestsellers traitant de nos motivations et de la nécessite de changer nos façons de travailler.
Cette vidéo de 18 minutes est assez drôle, plutôt captivante, n'hésite pas à prendre le temps nécessaire pour la visionner. Mais comme d'habitude, tu trouveras un résumé avec quelques commentaires en dessous.
Le "problème de la bougie"
Tu connais peut-être ce petit problème de logique ?
"Supposez que je suis l'expérimentateur. Je vous fais entrer dans une pièce. Je vous donne une bougie, quelques punaises et quelques allumettes. Et je vous dis : "Votre boulot est de fixer la bougie au mur de sorte à ce que la cire ne coule pas sur la table." Que feriez-vous ?"
Tu as le droit de réfléchir quelques minutes à la question bien sûr.
"Beaucoup de personnes essaient de punaiser la bougie au mur. Ça ne marche pas. Certains ont une grande idée : ils frottent une allumette et fondent le côté de la bougie pour la souder au mur. C'est une idée fantastique. Qui ne marche pas. Finalement, après cinq ou dix minutes, la plupart des gens trouvent la solution. La clé de la réussite est de dépasser la "fixité fonctionnelle". Vous regardez cette boîte et vous n'y voyez que l'emballage des punaises. Mais elle peut aussi avoir une autre fonction comme plateforme pour la bougie."
Il présente ensuite une deuxième expérience, où deux groupes de personnes doivent effectuer une tâche le plus rapidement possible. Pour l'un d'entre eux, une récompense est offerte s'ils arrivent à la terminer plus rapidement. Le résultat est assez surprenant :
"Cela leur a pris, en moyenne trois minutes et demie... de plus. (...) Ça n'a aucun sens, n'est-ce pas ? (...) Je crois aux marchés libres. Ce n'est pas comme ça que c'est sensé marcher, n'est-ce pas ? Si vous voulez que les gens soient plus performants, vous les récompensez, non ? Gratifications, commissions, leur propre reality show. Incitez-les. C'est comme ça que marchent les affaires. Mais ce n'est pas ce qui se passe ici."
Que peut-il donc se passer dans cette expérience ?
"Vous recevez une incitation conçue pour vous concentrer et accélérer la créativité. Et ça fait juste le contraire. Ça engourdit la pensée et bloque la créativité. Ces "motivations contingentes", si vous faites ceci, alors vous aurez cela, marchent dans certaines circonstances. Mais pour beaucoup de tâches, soit elles ne marchent pas, soit, souvent, elles sont néfastes. Ceci est l'une des découvertes les plus robustes des sciences sociales. Et c'est aussi l'une des plus ignorées."
Quand on pense au système de rémunération de toutes nos entreprises, on peut facilement le croire.
"Ce qui est inquiétant, c'est que le système de fonctionnement des entreprises (...) est construit entièrement sur ces motivateurs extrinsèques, les carottes et les bâtons. En fait, cela marche pour beaucoup de tâches du 20ème siècle. Mais pour les tâches du 21ème siècle, cette approche mécaniste de récompense-et-punition ne marche pas. Les récompenses "si, alors" marchent vraiment bien pour les tâches où il y a des règles simples et un but clair à atteindre. Les récompenses, de par leur nature, restreignent notre vision, concentrent la pensée. Pour des tâches avec une vision limitée où vous ne voyez que le but droit devant vous, elles marchent vraiment bien. Mais pour le vrai problème de la bougie, vous ne voulez pas cette approche. La solution n'est pas là. La solution est à la périphérie. Vous devez explorer les alentours. Et cette récompense limite en réalité notre vision et restreint nos possibilités."
Pourquoi est-ce important de nos jours ?
"En Europe de l'Ouest, dans une bonne partie de l'Asie, an Amérique du Nord, en Australie, les cols blancs font moins de ce genre de travail. Cette routine basée sur des règles, pour notre cerveau gauche, certains travaux de comptabilité ou d'analyse financière certains travaux de programmation informatique, sont devenus assez faciles à externaliser, assez faciles à automatiser. Le logiciel peut le faire plus vite. Les fournisseurs à bas coût autour du monde peuvent le faire moins cher. Donc ce qui compte, ce sont plutôt les compétences créatives et conceptuelles."
Chacun peut alors penser à son propre exemple :
"Pensez à votre propre travail. Est-ce que les problèmes que vous rencontrez, ou même les problèmes dont nous parlons ici, est-ce que ces problèmes ont un ensemble de règles claires et une solution unique ? Non ! Les règles sont mystifiantes. La solution, pour autant qu'il en existe une, est surprenante et pas évidente. Chacun dans cette salle est confronté à sa propre version du problème de la bougie. Et pour tout type de "problème de la bougie" dans n'importe quel domaine, ces récompenses "si, alors", les choses autour desquelles nous avons construit tant d'entreprises, ne marchent pas."
Il donne ensuite d'autres exemples d'expériences qui confirment ces observations. De grand économistes parviennent également à la conclusion :
"Nous avons trouvé que les incitations financières peuvent causer un impact négatif sur la performance globale."
"Il y a une divergence entre ce que la science sait et ce que le monde des affaires fait. Et ce qui m'inquiète, alors que nous sommes dans les décombres d'une économie effondrée, c'est que trop d'organisations prennent leurs décisions, leurs politiques sur le talent et les gens, en se basant sur des hypothèses dépassées, non vérifiées, et enracinées plutôt dans le folklore que dans la science. Et si nous voulons vraiment sortir de cette pagaille économique, et si nous voulons vraiment de hautes performances sur les tâches propres au 21ème siècle, la solution n'est pas de faire plus des mauvaises choses. D'attirer les gens avec des carottes plus douces ou de les menacer avec un bâton plus pointu. Il nous faut une approche entièrement nouvelle."
Autonomie, maîtrise et pertinence : les clés de la motivation ?
"Les bonnes nouvelles à ce sujet sont que les scientifiques qui ont étudié la motivation nous ont donné cette nouvelle approche. C'est une approche plutôt basée sur la motivation intrinsèque. Sur l'envie de faire des choses parce qu'elles importent, parce que nous les aimons, parce que c'est intéressant, parce que ça fait partie de quelque chose d'important. Et à mon avis, ce nouveau système de fonctionnement de nos entreprises tourne autour de trois éléments : l'autonomie, la maîtrise et la pertinence.
- l'autonomie : le désir de diriger nos propres vies.
- la maîtrise : l'aspiration de se surpasser sur quelque chose qui compte.
- la pertinence : l'envie de faire ce que nous faisons au service de quelque chose qui nous dépasse.
Il se concentre ensuite sur le premier élément, l'autonomie :
"Les notions traditionnelles du management sont géniales si vous voulez l'obéissance. Mais si vous voulez de l'engagement, l'autonomie marche mieux."
Il prend quelques exemples marquants : une entreprise australienne qui laisse à ses ingénieurs 24 heures quelques fois par an pour travailler sur le projet qu'ils veulent, et le présenter devant leurs collègues le lendemain. Et bien sûr le célèbre mode de fonctionnement de Google, qui accorde 20% de temps à ses salariés pour avancer sur n'importe quel sujet. Avec un résultat probant :
"La moitié de leurs nouveaux produits chaque année sont nés pendant ces "20% de temps". Des produits comme Gmail, Orkut, Google News."
Un exemple encore plus radical, avec un environnement de travail axé uniquement sur les résultats, le ROWE (Results Only Work Environment) :
"les employés n'ont pas d'horaires. Ils viennent quand ils veulent. Ils ne doivent pas être au bureau à des heures précises, ou même pas du tout. Ils doivent juste faire leur boulot. Comment ils le font, quand il le font, où ils le font, ça dépend entièrement d'eux. Les réunions sont optionnelles dans ce type d'environnement. Qu'est-ce qui se passe ? Presque pour tout le monde, la productivité augmente, l'engagement des employés augmente, la satisfaction des employés augmente, le renouvellement du personnel diminue. Autonomie, maîtrise et pertinence. Ce sont là les briques d'une nouvelle manière de faire les choses."
Une vision utopique ?
Peut-être pas. Daniel Pink prend un exemple frappant : d'un côté l'encyclopédie Encarta, pour laquelle Microsoft a payé des professionnels pour écrire et éditer des milliers d'articles, et des managers bien payés pour superviser. A côte de ça quelques années plus tard : Wikipédia. Des bénévoles l'enrichissent pour le plaisir. Personne n'est payé. Ils le font parce qu'ils aiment le faire.
Avec les résultats que l'on connaît : l'arrêt d'Encarta en 2009, ou la version en ligne ne représentait aux États-Unis plus que 1.27% des visites d'encyclopédies en ligne, contre 97% pour Wikipédia (source). Ce n'est évidemment qu'un exemple, mais qui ouvre la voie sur de nouvelles possibilités.
Bien entendu, nous ne pouvons pas travailler gratuitement toute notre vie. Mais passés le revenus qui nous permet de subvenir à nos besoins, est-ce vraiment la perspective d'une future augmentation qui peut nous motiver à travailler ?
"Il y a une divergence entre ce que la science sait et ce que le monde des affaires fait. Ce que la science sait :
1/ Les récompenses du 20ème siècle, ces motivateurs que nous croyons être naturels du business marchent, mais seulement dans un spectre étroit de situations.
2/ Ces récompenses "si, alors" détruisent la créativité.
3/ Le secret de hautes performances n'est pas dans les récompenses et punitions mais dans cette pulsion intrinsèque et invisible. L'aspiration à faire les choses pour les faire. L'envie de faire les choses parce qu'elles ont du sens."
Est-ce irrécupérable alors ?
"Et voilà la meilleure... voilà la meilleure : Nous le savons déjà. La science confirme ce que nous savons dans nos coeurs. Donc, si nous réparons cette divergence entre ce que la science sait et ce que le business fait, Si nous apportons notre motivation, nos notions de motivation dans le 21ème siècle, si nous dépassons cette idéologie paresseuse et dangereuse des carottes et des bâtons, nous pourrons renforcer nos entreprises, nous pourrons résoudre un tas de ces problèmes de la bougie, et peut-être, peut-être, peut-être... pourrons-nous changer le monde."
Une conclusion pour le moins optimiste ! Si ce sujet t'intéresse particulièrement, j'ai vu que les ouvrages de Daniel Pink étaient disponibles en français, n'hésite pas à y jeter un oeil.
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Commentaires
MalOu
21/01/2013
Permalien
Ton article est très intéressant et permet de remettre en question certaines choses :)
Je vais me regarder la vidéo ce soir quand je serais plus au boulot !