Et s'il suffisait parfois de demander ?
La semaine dernière, en rédigeant mon article sur la sharing economy, j'ai découvert l'histoire passionnante d'Amanda Palmer, auteur-compositrice-interprète américaine. Si j'avoue ne quasiment rien connaître de sa carrière artistique, j'ai été très intéressé par son positionnement concernant l'industrie musicale, et notamment la manière dont elle a financé son dernier album : par l'intermédiaire du site de financement collaboratif Kickstarter, en demandant simplement à ses fans de l'aider.
Le résultat de cette campagne : 25 000 participants pour un total de près de 1.2 millions de dollars, alors qu'elle n'en demandait modestement que 100 000$ au début.
Elle explique au cours d'une conférence TED ce qui l'a conduit à faire ces choix. Comme d'habitude, je t'invite à visionner la vidéo en entier (les sous-titres en français sont disponibles), mais tu trouveras un résumé et quelques commentaires en dessous.
Tu comprendras rapidement qu'il ne s'agit pas seulement de musique, mais d'une certaine vision de la vie, et surtout du rôle particulier que peut jouer Internet dans nos rapports avec les autres.
"Je n'ai pas toujours gagné ma vie avec la musique. Pendant environ cinq ans après ma sortie d'une des meilleures universités d'arts libéraux, voici ce qu’était mon gagne-pain : j'étais une statue vivante non salariée appelée « La mariée de 3 mètres »"
"J'ai donc fait des rencontres très profondes avec les gens, en particulier les personnes seules qui avaient l'air de n'avoir parlé à personne depuis des semaines, et nous établissions ce beau moment de contact visuel prolongé dans une rue, et en quelque sorte nous tombions un peu amoureux. Et mes yeux disaient : « Merci. Je vous vois. » Et leurs yeux disaient, « Personne ne me voit jamais. Merci. »"
Elle explique avoir cependant été touchées par les critiques de certaines personnes qui ne considéraient pas son activité comme un véritable travail.
Elle effectuait en parallèle un début de carrière musical avec son groupe de l'époque, les Dresden Dolls, qui commença peu à peu à gagner suffisamment d'argent pour qu'elle puisse s'y consacrer à plein temps.
"En commençant à voyager, je ne voulais vraiment pas perdre le sens d'un lien direct avec les gens, parce que j'adorais ça. Donc, après tous nos spectacles, nous signions des autographes et nous serrions les fans dans nos bras, nous sortions ensemble et bavardions et nous avons fait un art de demander aux gens de nous aider et de se joindre à nous. J'allais à la recherche de musiciens locaux et d'artistes qui se plaçaient à l'entrée de nos spectacles et ils faisaient la quête, ensuite ils montaient sur scène et se joignaient à nous, nous avions donc cet éventail de gens bizarres, des artistes de cirque pris au hasard."
Elle explique ensuite la place intéressante qu'a occupé Twitter dans ses rapports particuliers avec son public :
"Ensuite Twitter est arrivé, et a rendu les choses encore plus magiques, parce que je pouvais demander instantanément, n'importe quoi, n'importe où. Si j'avais besoin d'un piano pour m'entraîner, une heure après j'étais chez un fan. (...) J'adore ce genre de proximité due au hasard"
Le groupe a continué à grossir, mais aussi à s'entendre de plus en plus mal avec son label, pour lequel cela ne semblait jamais suffisant.
"Au même moment, je signe des autographes et j'embrasse les gens après un concert, et un mec s'approche de moi et me tend un billet de 10 dollars, et il me dit: « Je suis désolé, j'ai copié votre CD d'un ami. » (Rires) « Mais je lis votre blog, je sais que vous détestez votre label. Je veux juste que vous ayez cet argent. »
"C'est à ce moment que je décide que je vais juste offrir ma musique gratuitement en ligne si possible, et je vais encourager le torrenting, le téléchargement, le partage, mais je vais demander de l'aide, parce que j'ai vu dans les rues que ça marche. Alors je me suis débarrassée de mon label et pour mon prochain projet avec mon nouveau groupe, la Grand Theft Orchestra, je me suis tournée vers le financement participatif, je suis tombée dans les milliers de connexions que j'avais faites, et j'ai demandé à ma foule de me rattraper. Le but était d'avoir 100 000 dollars. Mes fans m'ont soutenu avec près de 1,2 millions, ce qui est le plus grand projet de financement participatif musical à ce jour."
"Les médias demandaient, « Amanda, l'industrie de la musique s'écroule et vous encouragez le piratage. Comment avez-vous fait pour faire payer tous ces gens pour la musique ? » Et la vraie réponse est que je ne les ai pas obligés. Je le leur ai demandé. Et par le fait même de demander aux gens, j'ai créé un lien avec eux, et en créant un lien avec eux, les gens veulent vous aider. C'est contre-intuitif pour un grand nombre d'artistes. Ils ne veulent pas demander. Mais ce n’est pas facile. Ce n’est pas facile de demander. C'est un problème pour un grand nombre d'artistes. Demander vous rend vulnérables."
"J'ai reçu beaucoup de critiques en ligne après le succès de mon projet Kickstarter pour avoir continué mes folles demandes de contributions, en particulier pour avoir demandé aux musiciens qui sont fans s'ils voulaient se joindre à nous sur scène pour quelques chansons en échange d'amour, de tickets et de bière."
"Les gens qui disent, « Tu ne peux plus demander ce genre d'aide », me rappelle vraiment ceux qui hurlaient depuis leurs voitures, « Trouve-toi un boulot. » Parce qu'ils n'étaient pas avec nous sur le trottoir, et ils ne pouvaient pas voir l'échange qui se passait entre moi et mon public, un échange qui était très équitable pour nous mais très étrange pour eux."
Son point de vue sur les artistes et la célébrité mérite en tout cas de s'y attarder un instant :
"Pendant la plus grande partie de l'histoire humaine les musiciens, les artistes, ont fait partie de la communauté, en tant que liens et ouverture, et non pas comme des étoiles intouchables. La célébrité c'est un grand nombre de personnes qui vous aime de loin, mais Internet et le contenu que nous sommes libres d'y partager nous ramènent en arrière. Il s'agit de quelques personnes qui vous aiment de près et de ces personnes qui vous suffisent. Beaucoup de gens sont désorientés par l'idée de ne pas avoir une étiquette avec un prix. Ils voient ça comme un risque imprévisible, mais ce que j'ai fait, Kickstarter, la rue, sonner à des portes, je ne vois pas ça comme un risque. Je vois ça comme de la confiance. Les outils en ligne pour rendre l'échange aussi faciles et instinctifs que la rue, y arrivent. Mais les outils parfaits ne nous aiderons pas si nous ne pouvons pas nous confronter et donner et recevoir sans crainte, mais surtout, si nous ne pouvons pas demander sans honte."
"J'ai passé ma carrière musicale à essayer de rencontrer des gens sur Internet comme je le faisais sur la caisse, en bloguant et en tweetant non pas seulement les dates de ma tournée et mes nouvelles vidéos mais sur notre travail, notre art, nos peurs et nos gueules de bois, nos erreurs. Et nous nous voyons l'un l'autre. Et je crois que quand nous nous voyons l'un l'autre, nous voulons nous aider l'un l'autre."
"Je crois que les gens ont été obsédés par la mauvaise question, qui est, « Comment faire payer les gens pour la musique ? » Et si nous commencions par nous demander, « Comment permettre aux gens de payer pour la musique ? »"
J'espère que cela t'a intéressé, aussi bien pour la réflexion sur l'industrie musicale (qu'on peut bien sûr pousser à celle du divertissement dans son ensemble), que sur la place que peut prendre Internet dans nos relations avec les autres.
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Commentaires
Simon Tripnaux
22/07/2013
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Super inspirant : cela dit l'art de demander pour avoir est en passe de devenir un classique éculé du marketing sur le web. Tourner autour du pot et faire des manières, ça ne paye pas ! :)
coreight
23/07/2013
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Et sinon... t'as pas 2 euros ? :-D